ASSURANCE-VIE : LA COUR DE CASSATION VERROUILLE TOUTE INDEMNISATION AVANT LE RACHAT
Synthèse
Dans un arrêt rendu le 26 mars 2025 (n° 24-10.430), la chambre commerciale de la Cour de cassation juge qu’un souscripteur ne peut réclamer l’indemnisation d’une « perte de chance » liée à une mauvaise orientation de son contrat d’assurance-vie tant que ce contrat n’a pas été racheté. La Haute juridiction rappelle que, faute de rachat, la valeur liquidative des unités de compte demeure incertaine : le préjudice n’est donc ni actuel ni certain.
Cette décision, qui casse un arrêt de la cour d’appel de Grenoble ayant indemnisé l’assuré malgré un contrat toujours en cours, déplace le débat contentieux au jour du rachat et protège les intermédiaires contre des demandes indemnitaires prématurées, sans les dispenser de conserver une traçabilité irréprochable de leur conseil.
Les faits
Le 30 septembre 2008, M. H. souscrit, par l’intermédiaire d’un courtier, un contrat d’assurance-vie multisupport. En 2011 puis en 2014, conseillé par ce même courtier, il arbitre l’intégralité de son épargne vers deux supports en unités de compte considérés comme plus dynamiques.
Inquiété par la dégradation de la valeur de ces supports sur la période 2015-2018, il assigne, le 28 janvier 2019, le courtier et les assureurs MMA pour manquement au devoir de conseil et sollicite des dommages-intérêts au titre de la « perte de chance » de n’avoir pas investi sur des supports moins risqués.
Procédure
En première instance puis devant la cour d’appel de Grenoble, l’investisseur obtient gain de cause : les juges retiennent qu’il a perdu une chance « actuelle » de réaliser un meilleur investissement, et fixent l’indemnisation à 140 000 euros. Les défendeurs forment alors un pourvoi, soutenant que le préjudice reste hypothétique tant que le contrat n’est pas racheté et que, par voie de conséquence, le point de départ du délai de prescription quinquennale prévu à l’article 2224 du Code civil ne saurait être antérieur au rachat.
Solution
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle énonce que « les pertes alléguées ne se réalisent effectivement qu’au rachat du contrat d’assurance-vie, alors même que le support concerné aurait été désinvesti ou serait arrivé à échéance ».
En l’absence de rachat, la valeur liquidative demeure susceptible d’évoluer à la hausse comme à la baisse ; il n’existe donc ni préjudice actuel ni perte de chance certaine.
Corrélativement, le délai de prescription commence à courir à la date du rachat – ou du dénouement par décès – et non au moment de l’investissement litigieux ou du désinvestissement des supports en question.
Portée pratique
Pour les courtiers en assurance-vie, l’arrêt conforte la ligne de défense fondée sur l’absence de préjudice tant que le contrat est vivant : une réclamation chiffrée ne peut aboutir qu’après la liquidation effective du contrat. Il devient néanmoins crucial de prouver, le jour venu, que le conseil initial et le suivi ont été diligents ; la conservation du DCC complet, des profils
investisseurs, des lettres de mission et des rapports d’adéquation constitue la première barrière protectrice.
En pratique, lorsqu’un client exprime son mécontentement après une baisse de marché, l’intermédiaire a tout intérêt à rappeler la portée de cette décision tout en proposant un rendez-vous pédagogique. Une telle démarche permet d’apaiser la relation, de démontrer le suivi continu exigé par la réglementation et de retarder, voire d’éviter, la cristallisation d’un contentieux.
Enfin, l’arrêt précise que le délai de cinq ans ne s’enclenche qu’à la sortie du contrat ; il est donc recommandé d’archiver systématiquement la date de rachat, même partiel, pour maîtriser le calendrier de prescription et sécuriser la gestion des dossiers litigieux.